Pierre Descargues : Jean-Michel Sanejouand qui a publié déjà divers projets d'aménagement de l'espace, par exemple celui de l'aménagement de la vallée de la Seine, où il prévoyait de transformer les carrières en plans d'eau et d'habituer les promeneurs à bien jouer avec des cailloux, s'attaque à un aménagement plus ambitieux, plus vaste. Tout simplement, celui de notre planète, la Terre. C'est à voir à la Galerie Germain, rue Guénégo à Paris. Et là, on s'interroge un peu devant les Tables d'orientation de Sanejouand parce que le processus artistique y remplace la réflexion scientifique.
Jean-Michel Sanejouand : Donc, si j'ai eu cette idée de faire une organisation de l'espace de la planète Terre, après avoir fait une organisation de l'espace, ou des espaces, plutôt, de la vallée de la Seine entre Paris et le Havre, c'était un peu, au départ, oui, une sorte de gageur, essayer de passer à un plan tellement énorme que, évidemment, ce que l'on pouvait savoir, ou si vous voulez, l'habitude que je pouvais avoir de travailler, allait s'en trouver, évidemment, très perturbé. Et j'essayais, au fond, de faire un deuxième saut. Mais alors, quitte à faire un saut, allons-y franchement, je faisais le saut maximum, si j'ose dire. Il fallait trouver une méthode pour travailler. Alors, la méthode précédente, si j'en peux dire, méthode qui m'avait servi pour la vallée de la Seine, c'était, au fond, d'inventer une sorte de scénario. Je prenais le temps qu'il fallait pour l'inventer. Mais, là, je me suis aperçu que ce n'était pas possible. Il n'y avait pas de scénario possible à inventer. Donc, ce qu'il fallait, c'est presque grignoter. Et pour ça, il fallait que je parte quand même de quelque chose. Alors, je suis parti de mes travaux précédents. J'ai compulsé à nouveau les documents photographiques de ces petites interventions. Dans l'espace et dans le temps, c'était minuscule, ce que j'ai fait. Même si, sur le moment, ça pouvait paraître immense parce que ça avait 400 mètres de long, par exemple. J'ai essayé de les mettre en rapport avec la planète Terre. Donc, concrètement, avec un des hémisphères. Je choisis le graphisme vu de l'hémisphère nord ou vu de l'hémisphère sud. Et puis, à partir de là, il y a des associations d'idées qui se créent. Je peins, par exemple, l'Australie en rouge, si vous voulez. Ou les eaux en marron. Ou les continents tout en noir. Et puis, j'ajoute des notations. Je souligne certains lieux. Ça, c'est une série d'associations d'idées. Je ne le fais pas pour faire joli. Je ne mets pas un peu de rouge par-ci, un peu de jaune par-là. Non, ce n'est pas du tout ça. Ce sont des idées précises que je visualise de cette façon-là. Seulement, je ne dis pas pourquoi. Parce que si je reprenais le même sujet, si je puis dire, ou la même approche, quinze jours, un mois, un an plus tard, je n'aurais pas les mêmes associations d'idées, je le sais. Donc, ce qui m'intéresse, ce n'est pas tellement les associations d'idées que j'ai faites et de les imposer aux autres, en les expliquant, mais au contraire, de suggérer d'autres associations d'esprit que chacun fasse ses associations librement. C'est une sorte de libre-jeu. Je lis un tas de choses, je m'informe d'un tas de choses que m'apporte, en fin de compte, la recherche scientifique. Mais, s'il s'agit de communiquer avec les autres, et en fait, c'est quand même un peu ça, l'art, s'il s'agit de connaissance au sens pratique du terme, comment vivre, comment être heureux, comment avoir une certaine conscience, comment être bien ou mal dans sa peau, et pourquoi, enfin, je ne crois pas que la science offre des réponses ad hoc. Je pense que la science est... c'est une méthode de connaissance. Il y en a d'autres, d'ailleurs. Il y a une méthode politique de connaissance. L'art est une autre méthode de connaissance. Et effectivement, il y a un peu antagonisme entre les deux. Ceci dit, l'art se sert quand même beaucoup de la science. Je n'ai pas tellement l'impression que la science cherche à se servir de l'art. Je trouve qu'il y a un certain nombre d'artistes qui sont attentifs à la science. Il y a peu de scientifiques qui sont attentifs à l'art.